Par une journée printanière, mais maussade, les étroites ruelles de la Médina de Tunis sont pratiquement désertées. L’une des principales artères menant à la Kasbah, habituellement mouvementée et agitée par l’incessant va-et-vient des passants et rôdeurs toujours pressés, est plutôt calme. Assis devant leurs boutiques et magasins d’artisanat qui s’y côtoient, les vendeurs scrutent les quelques passants battant le pavé, dans l’espoir de déceler leurs intentions d’achat.
Dans ces boutiques, les radios évoquent en boucle les nouvelles sur la propagation de l’épidémie du coronavirus. A mesure qu’on s’approche du Souk Blaghjiya, le mouvement des passants s’atténue davantage. Dans les boutiques qui longent la ruelle sombre et inanimée, on expose des balghas de toutes les couleurs sur lesquelles sont griffonnés des signes et des motifs berbères.
A Souk Ennhas (Marché du cuivre), certains ateliers ont été supplantés par des boutiques de vente des accessoires de mariage.
Dans un coin, pas très loin de cette artère, trois hommes sont accroupis et façonnent, à l’aide d’une machine mécanique rouillée, des morceaux de cuir sous forme de losange : ils fabriquent les balghas, cet accessoire devenu incontournable pour les hommes et les femmes lors des fêtes matrimoniales et de circoncision. A Souk Ennhas (Marché du cuivre), certains ateliers ont été supplantés par des boutiques de vente des accessoires de mariage.
Les cliquetis, que produit le martèlement incessant des pièces en cuivre,retentissent dans tout l’espace. Dans ces ateliers dont la superficie ne dépasse pas parfois les 2 m2, les articles en cuivre s’empilent: plateaux en cuivre blanc, luminaires et lustres artisanaux en cuivre jaune, de vieux couscoussiers, de petites casseroles pour faire le café turc (zazwa), bols de hammam, etc. «Le Souk n’est pas en berne.
«On me sollicite des quatre coins de la Tunisie. Des jeunes filles qui veulent des accessoires pour leur hammam de mariage, des dames qui veulent décorer leurs nouvelles maisons, des femmes qui veulent étamer et remettre en forme de vieux couscoussiers, à la veille de Ramadan»
J’avoue que je fais des bénéfices allant de 5% à 20%, cela dépend du jour et de la saison. Ma clientèle est diversifiée. J’ai pu fidéliser même des Tunisiens à l’étranger», nous dévoile Mohamed Fatnassi, artisan de cuivre, âgé de 74 ans. «Cela fait 60 ans que j’exerce mon métier», ajoute-t-il. Quittant Béja sa ville natale, à l’âge de 14 ans, Mohamed s’est lancé dans l’artisanat du cuivre et a pu établir une réputation dans le Souk.
«On me sollicite des quatre coins de la Tunisie. Des jeunes filles qui veulent des accessoires pour leur hammam de mariage, des dames qui veulent décorer leurs nouvelles maisons, des femmes qui veulent étamer et remettre en forme de vieux couscoussiers, à la veille de Ramadan», se réjouit Mohamed. Mais les artisans n’ont-ils pas été touchés par la crise économique qui a sévi après la révolution ?
«Certes, le nombre de touristes a diminué, surtout durant les années qui ont suivi la révolution. Mais la demande intérieure des Tunisiens venus de diverses régions de la Tunisie a compensé la baisse de la demande des touristes», répond l’artisan. Peut-être que Mohamed Fatnassi serait une exception, ou même chanceux d’avoir fidélisé une certaine clientèle, mais une chose est sûre, tous les métiers de l’artisanat n’ont pas été lésés de la même manière après la révolution.
Les Souks de la Médina ne sont plus la destination prisée des férus du design et de la décoration artisanale. Les nouvelles méthodes de marketing des jeunes apprentis, moyennant les réseaux sociaux,offrent plus de visibilité à leurs produits artisanaux et leur permettent de fidéliser leurs clientèles à travers, non seulement le pays, mais également à l’étranger. Cependant, la rue Jamâa Zitouna, artère principale de la Médina, quant à elle, elle a pu résister. Les boutiques d’artisanat, qui s’y côtoient, lui confèrent un charme sans pareil qui n’a jamais cessé d’émerveiller locaux et étrangers. Marwa Saidi/La Presse