Certains ont décidé aussi, cette année, de passer quelques heures à la plage, à défaut de rendre visite aux proches le jour de l’Aïd. Nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à aller piquer une tête durant la journée. Toutefois, une question reste en suspend : est-il dangereux de se baigner au temps du Covid-19 ? Réponse d’une spécialiste.
Si certaines études se penchent sur l’impact de la chaleur et l’humidité sur la propagation de la pandémie du coronavirus, aucune donnée scientifique n’a encore confirmé cela. Toutefois, avec les températures particulièrement élevées attendues cet été, notamment à cause du réchauffement climatique, la plage se présente comme l’échappatoire idéale. Mais est-ce réellement une bonne idée pendant cette crise sanitaire ? Que sait-on réellement du comportement du coronavirus à la plage ?
Comportement du coronavirus dans l’eau
«A l’heure actuelle, il existe très peu de données relatives au comportement du coronavirus dans l’eau de mer même si quelques initiatives de recherche ont été entamées dans l’urgence sont menées actuellement dans différents laboratoires, notamment en Europe, en Asie et en Amérique du Nord», assure Samir Grimes, expert international en environnement et changements climatiques. Par ailleurs, le spécialiste explique que les connaissances restent très limitées en ce qui concerne la résistance du coronavirus aux traitements des eaux usées dans les stations d’épuration. A cet effet, M. Grimes ajoute que nos stations d’épuration ne sont pas toutes dotées d’un module pour le traitement biochimique.
De son avis, on ne sait pas non plus, si dans le cas où le coronavirus résiste aux traitements des stations d’épuration, quelle serait alors sa résistance dans l’eau de mer et s’il peut tenir dans les conditions de salinité marine. «Pour l’instant, les analyses réalisées outre Méditerranéen sur les coquillages marins ne montrent pas la présence du germe, mais qu’en est-il si le coronavirus persiste ?», s’interroge M. Grimes. Il faut croire que l’apparition récente de ce virus a pris de court la communauté de virologues marins et le sujet est devenu
un sujet de recherche tout récemment, ce qui explique le grand déficit en données sur le comportement du coronavirus en mer. Toutefois, un projet a été lancé dans l’urgence, regroupant des scientifiques de 12 pays européens, incluant des océanographes. «Ce projet intitulé VEO ‘‘Observatoire polyvalent des maladies infectieuses émergentes’’ est coordonné par le département de virologie du Centre hospitalier universitaire Erasmus, à Rotterdam, et tente de répondre à diverses questions, y compris celles liées au comportement du coronavirus dans les différents milieux et environnements», conclut M. Grimes.
Combien de temps le virus reste vivant dans l’eau ?
Si aucune donnée n’a, jusqu’à présent, été publiée à ce sujet, Samir Grimes affirme tout de même que «la persistance du coronavirus est deux moins longue que celle du norovirus, virus responsable de la gastro-entérite, notamment via la consommation par l’homme de coquillage marins». D’ailleurs, les scientifiques chinois ont démontré que contrairement au norovirus, le coronavirus est moins excrété (10 à 100 fois moins).
Un virus fragile La détection du virus dans les échantillons se fait par une méthode moléculaire qui est la PCR. Cette méthode détecte la présence de du génome viral. Selon Abdelaziz Touati, professeur spécialiste en écologie microbienne à l’université de Béjaïa, pour qu’un virus puisse infecter un être vivant, il doit être intact et non dénaturé. Ainsi, la détection du virus dans les eaux usées ou dans l’environnement ne signifie pas forcément, selon le spécialiste, que le virus est intact et infectant.
Pour le démontrer, il faut faire des cultures cellulaires. «De plus, les virus sont divisés en deux catégories, ceux qui sont nus (ne possédant pas d’enveloppe cellulaire) et ceux qui sont enveloppés (enveloppe cellulaire acquise lors de la sortie du virus de la cellule infectée)», explique-t-il. La présence de cette enveloppe rend le virus, selon M. Touati, très fragile et sensible aux conditions environnementales, tels que le pH, les températures élevées, la salinité, les détergents,etc. «Le Covid-19 est un virus enveloppé et sa survie dans l’environnement reste à démontrer malgré que le génome viral a été détecté dans différents types d’environnement, y compris les eaux usées», conclut l’expert.
Choper le virus en se baignant
«Le risque existe, surtout si un crachat d’une personne malade y est déposé dans l’eau et la distance est courte», explique M. Grimes. Toutefois, M. Touati assure qu’à l’état actuel des connaissances, rien ne peut affirmer ni infirmer qu’on peut contracter le virus en se baignant. Ce dernier rappelle que pour être infecté par le Covid-19, certaines conditions doivent être réunies notamment la charge virale infectante (être en contact étroit avec une source infectante, notamment une personne malade excrétant activement le virus, pour une certaine période de temps). «De ce fait, il est très probable que la baignade ne soit pas une source de contamination, cependant, nager à côté de quelqu’un qui est malade ou porteur constitue un risque», prévient-il.
Des traces du virus dans le sable et les coquillages
Pour M. Touati, il est tout à fait possible de retrouver les traces du Covid-19 dans le sable ou les coquillages. «Cela pourrait se produire notamment par la présence des estivants sur la plage. On peut facilement imaginer qu’une personne contaminée par le Covid-19 puisse déposer ses particules virales sur le sable via les crachats, la sédimentation après éternuements, toux et paroles», avance-t-il.
Infection et transmission
Selon M. Grimes, les seuls cas connus à ce jour de transmission de virus entre l’être humain et les espèces marines est celui des mammifères marins mais il demeure encore des incertitudes sur le circuit inverse ; c’est à dire transmission d’un virus (type Covid-19) par les mammifères à l’être humain. «On le sait, certains coronavirus sont en mesure d’infecter certains mammifères marins ; le cas des phoques et des dauphins en captivité», rappelle-t-il. En effet, après analyse d’une vingtaine de carcasses de phoques sauvages retrouvées morts en 2010 sur les côtes californiennes, il s’est avéré qu’ils étaient porteurs du coronavirus. «Cependant, la responsabilité directe de ce coronavirus dans la mort de ces phoques n’a pas été directement et clairement établie», précise-t-il.
Le coronavirus et eaux usées
Certains spécialistes soulignent la fragilité du coronavirus qui est de type «enveloppé», ce qui le fragiliserait et réduirait le risque de propagation via les eaux usées. «Ces scientifiques soutiennent quand même que même si le risque est réduit, il ne doit pas être écarté», assure M. Grimes.
Cependant, «vu les limites actuelles du système de gestion de macro déchets sur les plages et en mer, nos plages et nos côtes risquent de se retrouver chargées de gants, masques de protection qui sont mis à la poubelle et peuvent se retrouver dans les oueds, les plages, dans la nature et se retrouver ainsi facilement en mer avec leurs lots potentiellement de germes», craint l’expert.
Ces déchets étant spéciaux, ils requièrent par conséquent une prise en charge et un traitement spécial.
«Malheureusement, nos concitoyens ne sont pas tous sensibilisés sur les risques provoqués par le jet de ces ‘‘protections’’ contre le coronavirus dans la ‘’nature’’». Il est également impératif, de l’avis de M. Grimes, qu’un plan d’urgence soit enclenché dans les meilleurs délais pour remettre en marche tous les incinérateurs dans nos hôpitaux et cliniques et doter ceux qui ne disposent pas d’incinérateurs pour éviter des catastrophes sanitaires.
Baignade ou pas baignade? Pour Samir Grimes, les données sont clairement insuffisantes pour emmètre une quelconque hypothèse sur la persistance du coronavirus dans l’eau de mer. Cependant, l’expert recommande le respect de toutes les règles de distanciations sociale également en mer, tant sur la plage qu’en mer lors de la baignade si les autorités décident d’autoriser la fréquentation des plages et la baignade durant la saison estivale 2020.
Cependant, de l’avis de M. Touati, appliquer les règles de distanciation sociale aux familles se rendant à la plage reste très difficile à mettre en œuvre (parasols distancés d’au moins deux mètres, pas plus de deux personnes sous le parasol, interdiction de s’allonger sous le sable, autorisation d’accès pour un nombre déterminé de personnes, etc.). «De plus, l’ouverture des plages au public signifie le croisement de gens venant de différentes régions du pays et ainsi mettre en contact des gens venant de régions très touchées par le virus avec des gens venant de régions moins touchées», ajoute-t-il.
Pour ce qui est de la saison estivale, le spécialiste recommande que cette année, compte tenu de la situations sanitaire du pays, que le cahier des charges pour la concession des plages soir très stricte et qu’il fasse l’objet d’un suivi quotidien par les services de la commune et les autres services habilités quant au respect de la distanciation sociale au niveau des plages.
«Le suivi de la qualité des eaux de baignade qui jusqu’ici portait uniquement sur les aspects physico-chimies et bactériologiques devrait dorénavant porter aussi sur la recherche de virus sur un certain nombre de sites à risque, notamment les embouchures des oueds et dans les zones proches des grands centres hospitaliers», ajoute-t-il.
Pour M. Grimes, cette pandémie doit accélérer toute une série de mesures, en particulier la prise en charge de manière correcte et efficace des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) et la dotation des entités chargées de l’observation de la qualité environnementale et des laboratoires de recherche scientifique des ressources nécessaires pour pouvoir réagir en temps utile et favoriser la recherche en virologie marine.
«Ce que les experts nous disent est que ce virus est partant pour durer dans le temps dans le monde entier, nous devons être conscients que nous ne savons que peu de choses sur ce virus et que la meilleure façon de se protéger d’une éventuelle vague de contamination et d’éviter les comportements à risque, notamment les regroupements de gens», conclut M. Touati.
Sofia Ouahib / El Watan